Introduction

Introduction

Bon nombre d’études évoquent la violence dans le travail du sexe et décrivent le parcours de femmes offrant des services sexuels comme étant parsemé d’abus et de victimation [1]. D’autres travaux de recherche font part de situations différentes, dans lesquelles des travailleuses du sexe affirment avoir librement choisi de s’engager dans ce secteur d’activité économique après avoir évalué plusieurs possibilités d’emploi, être en mesure de poser et de faire respecter leurs limites en ce qui concerne les prestations à fournir et, finalement, de trouver suffisamment de bénéfices au type de travail qu’elles ont choisi pour l’apprécier et vouloir y demeurer pendant un temps plus ou moins défini[2]. Quelques-unes de ces études traitent également de la relation employeur-employée existant entre la travailleuse du sexe et l’agence ou le club qui l’emploie. Elles décrivent cette relation comme présentant un potentiel d’abus, car la travailleuse ne peut y faire valoir son droit à des conditions de travail conformes aux règlements de la loi sur les normes du travail, du fait de la non-reconnaissance sociale et légale de son emploi (Bruckert, 2002 ; Bruckert et al, 2003 ; Bruckert et Chabot, 2010 ; Church et al., 2001 ; Jeffrey et MacDonald, 2006 ; O’Doherty, 2011 ; van der Meulen et Durisin, 2008 ; van der Meulen, 2010). Considérant la force des stéréotypes du souteneur en l’absence de démonstration empirique, l’équipe de recherche de Bruckert et Law (2013) a à la fois interviewé des tierces parties, c’est-à-dire des employeurs, des collaborateurs ou employés contractuels ainsi que des travailleurs et travailleuses du sexe faisant affaire avec celles-ci. Cette étude montre combien « l’organisation des entreprises de l’industrie du sexe, et le rôle des tierces parties, sont semblables aux secteurs courants du marché du travail » (p. 83). Comme dans d’autres secteurs, des tierces parties agissent professionnellement et respectueusement envers les personnes travailleuses du sexe et font preuve de compétence dans leur tâche, d’autres sont à peine adéquats dans l’un et l’autre domaine, et d’autres encore font preuve d’une attitude abusive envers les personnes qu’elles emploient (Bruckert et Law, 2013).
Considérées dans leur ensemble, ces études montrent une grande diversité d’expériences dans le travail du sexe, allant de circonstances relevant de l’exploitation de femmes vulnérables, aux situations où les femmes décrivent leurs activités en tant que travail somme toute assez semblable à tout autre travail en dehors du fait qu’il est criminalisé et très fortement stigmatisé (Comte, 2010). Malgré ces constatations, les féministes abolitionnistes maintiennent une perception du travail du sexe comme étant, de façon inhérente, une situation de violence de la part des hommes envers les femmes. Ainsi, plusieurs pays ont-ils adopté, ou tentent-ils d’adopter, une loi criminalisant les clients et les tierces parties, tout en forçant les travailleuses du sexe à sortir de la prostitution pour leur propre bien (Comte, 2014 ; 2015). Les féministes abolitionnistes affirmant que les travailleuses du sexe contentes de faire ce qu’elles font sont des exceptions, il devient nécessaire de publier les résultats d’études ayant rencontré de telles travailleuses de manière à ce que, en accumulant les résultats de nombreuses recherches, on en arrive à démontrer qu’elles ne constituent pas des exceptions et que leur expérience doit être considérée comme étant tout aussi légitime que celle des femmes exploitées qui constituent la base du discours et des études abolitionnistes. Ainsi, bien que l’objectif de la présente étude n’était pas de documenter un tel parcours mais était plutôt centré sur le thème de la sexualité, les résultats concernant le parcours des participantes permettent de faire le contrepoids aux affirmations abolitionnistes et c’est pourquoi ils sont discutés dans le cadre de cet article.
PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE
Constatant que les connaissances étaient encore à développer quant à l’expérience de sexualité que font, dans le cadre de leur travail, des femmes offrant des services d’escorte, j’ai entrepris mon projet doctoral [3] avec l’objectif de comprendre comment s’organise et se construit l’expérience de sexualité chez des femmes offrant des services d’escorte. Partant d’une perspective interactionniste et utilisant une méthodologie de théorisation ancrée, j’ai préféré construire ma compréhension du vécu des participantes à partir de ce qu’elles en disent plutôt qu’à partir d’un cadre théorique préalable. Utilisant mes connaissances en sexologie [4], j’ai préparé un guide d’entrevue prévoyant deux rencontres d’environ 90 minutes dans le but d’amener les participantes à discuter de leur expérience de la sexualité à la fois dans le cadre de leur travail et dans leur vie privée. Puisque la question de départ les invitait à parler de leurs débuts dans le travail d’escorte, les participantes ont élaboré abondamment au sujet de leur parcours dans le travail du sexe. Ce faisant, j’ai pu documenter le parcours de ces travailleuses, incluant leurs relations de travail avec un employeur et des tierces parties ainsi que les milieux de travail qu’elles y ont rencontrés.
Après avoir obtenu l’approbation du projet par le Comité d’éthique de l’Université Laval, j’ai commencé l’échantillonnage en m’adressant à des organismes communautaires offrant leurs services aux travailleuses du sexe ; deux d’entre eux s’adressent surtout aux personnes socio-économiquement démunies dont un bon nombre sont toxicomanes, alors que le troisième s’adresse tout autant aux travailleuses vulnérables et toxicomanes qu’aux travailleuses socio-économiquement plus favorisées. Les premières participantes m’ont ensuite référé des collègues, me permettant ainsi de constituer un échantillon boule de neige. L’anonymat des participantes et la confidentialité de leur témoignage ont été assurés par un changement des noms et des lieux et par la non-divulgation de toute information les concernant qui pourrait permettre de les identifier. De plus, celles-ci étaient libres de donner leur vrai nom ou de n’utiliser que leur surnom et leurs coordonnées de travail lors des prises de contact et des rencontres. Après avoir présenté la recherche et répondu aux questions des participantes, j’ai consigné verbalement le consentement au début de l’enregistrement audio de la rencontre, les participantes n’ayant pas à signer de formulaire de consentement.
L’échantillon ainsi obtenu est constitué de 16 femmes offrant ou ayant offert des services d’escorte dans les régions de Montréal ou de Québec, au Canada. En outre et bien que cela n’ait pas été planifié ainsi, la grande majorité des participantes (14 sur 16) ont offert des services d’escorte de manière indépendante : quatre participantes ont commencé en tant qu’indépendantes et le sont demeurées, alors que 10 autres le sont devenues après avoir débuté en agence. Les participantes étaient âgées de 21 à 54 ans au moment de l’entrevue.
L’analyse des données a ensuite été entreprise à l’aide de la méthodologie de théorisation ancrée. Une fois le verbatim des premières entrevues transcrit, j’ai d’abord codé les données à partir de leur contenu même. Puis, en comparant entre elles ces données codées, j’ai procédé à la construction d’une grille de catégories d’analyse, celle-ci se modifiant pour se préciser au fur et à mesure du déroulement de la recherche, de manière à toujours demeurer le plus près possible des données recueillies.
Dans le cadre de cet article, j’aborderai les motivations qu’ont eues les participantes à entrer dans l’industrie du sexe, leur parcours dans ce secteur d’activité économique, leur expérience des différents milieux et types de travail, le choix et le degré de contrôle personnel qu’elles ont sur leurs conditions de travail, les attitudes qu’ont les partenaires de vie quant au travail du sexe et, finalement, la consommation d’alcool ou de drogues chez les participantes. Ces données seront discutées au fur et à mesure de leur présentation. Je conclurai ensuite sur les particularités du parcours des participantes de cette étude et sur l’importance de tenir compte de la diversité des expériences dans le travail du sexe, dont celle des participantes de cette étude ne constitue qu’une variante, puisque c’est ainsi que nous parviendrons à obtenir une meilleure compréhension de l’ensemble de la problématique. Ce faisant, je proposerai de nouvelles pistes de recherche.

MOTIVATION À OFFRIR DES SERVICES SEXUELS RÉMUNÉRÉS
La grande majorité des participantes étaient adultes lorsqu’elles ont commencé dans le travail du sexe, seulement trois d’entre elles ayant moins de 18 ans (13, 16, et 17 ans). Plus précisément, trois étaient âgées de 18 ou 19 ans, six avaient entre 20 et 29 ans, et les dernières avaient 30, 32, 41 et 45 ans lors de leurs débuts. La moyenne, en incluant les mineures, se situe ainsi à 24 ans. Ces résultats rejoignent ceux d’autres travaux : Benoit, Jansson, et McCarthy (2014) rapportant une moyenne de 24 ans en ce qui concerne l’âge d’entrée dans ce métier pour un échantillon de 211 répondants et répondantes, ceux de Sanders (2005), une moyenne de 23 ans pour un échantillon de 45 travailleuses du sexe, et ceux de Bruckert et Chabot (2010), une moyenne de 22,5 ans pour un échantillon de 43 personnes. Pour leur part, les travaux de Benoit et Millard (2001) rapportent un âge moyen d’entrée de 18 ans, pour un échantillon de 201 répondantes et répondants [5]. Selon des féministes abolitionnistes (Blasco et al., 2007 ; Conseil du statut de la femme du Québec, 2012 ; Poulin, 2004 ; Ricci et al, 2012), la moyenne d’âge d’entrée en prostitution serait de 14 ans, impliquant ainsi que la grande majorité des travailleuses du sexe auraient débuté dans ce secteur d’activité économique à un âge présumé inapte au consentement. Différents travaux offrent pourtant un portrait différent de la situation, et cette étude apporte de nouvelles données qui, non seulement soutiennent ce portrait différent, mais soulignent également la possibilité de débuter dans ce type d’activités à un âge considéré comme mûr.
En outre, parmi ces 16 participantes, 14 possédaient une expérience dans un autre type de travail avant de débuter comme travailleuses du sexe, dont cinq dans un champ de spécialité développé par des études. Seules deux des trois mineures n’avaient ni complété leurs études secondaires ni acquis de l’expérience dans un autre secteur d’emploi avant de débuter dans celui-ci. La plupart de ces participantes avaient donc les ressources nécessaires sur les plans de la scolarité et de l’expérience d’emploi pour occuper un autre type d’emploi si tel avait été leur souhait. Ce qui rejoint les données présentées par d’autres chercheurs (Bernstein, 2007 ; Bruckert et Chabot, 2010 ; Lucas, 2005 ; O’Doherty, 2011 ; Parent et Bruckert, 2005 ; Sanders, 2005 ; Shaver, 2005 ; Sloan et Wahab, 2004 ; Welzer-Lang, 1994), tout en apportant une importante nuance aux affirmations abolitionnistes voulant que le manque de ressources lié à une précarité socio-économique soit un des principaux facteurs d’entrée dans ce type de travail (Blasco et al., 2007 ; Conseil du statut de la femme du Québec, 2012 ; Poulin, 2004 ; Ricci et al, 2012), l’autre principal facteur étant le traumatisme causé par de « lourdes histoires d’agressions sexuelles » (Blasco et al, 2007, 16) [6].
Toutes les participantes ont dit s’être engagées dans le travail du sexe parce qu’elles avaient besoin d’un revenu et que ce travail permet de gagner rapidement de l’argent. Huit d’entre elles ont dit être également motivées par le désir d’explorer la sexualité et de vivre du plaisir sexuel, et deux autres affirment avoir choisi le travail du sexe en tant qu’emploi source de revenus à la fois parce qu’elles apprécient pouvoir échanger avec des inconnus et parce qu’elles ont le sentiment de vraiment faire du bien à des clients en répondant à certains de leurs besoins affectifs, émotionnels et sexuels.

PARCOURS DANS LE TRAVAIL DU SEXE
Bien que toutes les participantes aient offert des services d’escorte, puisqu’il s’agissait d’un critère de sélection, plusieurs d’entre elles ont d’abord commencé par un autre type de travail : la prostitution de rue (1), la danse érotique (4), le massage érotique (3) ou le recours à la webcam (1), parmi elles, elles ont expérimenté plus de deux types de travail du sexe. D’autres ont débuté par le service d’escorte en s’engageant dans une agence ou en s’annonçant comme indépendantes. Celles qui ont débuté par la danse, le massage ou la webcam se sont ensuite dirigées vers le service d’escorte soit parce que c’était plus payant – l’une d’entre elles tentait de soutenir sa consommation de drogues, mais pour les autres, il s’agissait simplement d’avoir un meilleur revenu – soit parce qu’elles se sentaient brimées par les règles appliquées dans les bars ou dans les salons et limitant les actes sexuels permis alors qu’elles voulaient maintenant explorer plus de variété dans la sexualité exprimée dans le cadre du travail.

EXPÉRIENCE DES DIFFÉRENTS MILIEUX ET TYPE DE TRAVAIL
Plusieurs des participantes ont exercé dans différents milieux de travail, soit dans les bars de danse érotique, les salons de massage ou les services d’escorte. Les relations qu’elles rapportent avoir eues avec leurs employeurs ressemblent tout à fait à celles qui existent dans les autres secteurs d’activité économique : quelques employeurs sont de mauvais gestionnaires ou font preuve de malhonnêteté, certains sont corrects mais sans plus, alors que d’autres se montrent bienveillants à l’égard des travailleuses du sexe. Ce qui correspond aux observations rapportées par l’équipe de recherche de Bruckert et Law (2013). Les lacunes reprochées aux employeurs mauvais gestionnaires concernent l’absence de clientèle alors que l’escorte doit attendre sur place ou se mettre en disponibilité totale pendant des périodes pouvant s’étendre sur 12 heures, l’apparence minable du lieu de travail, la non-disponibilité d’un chauffeur pour être conduite au rendez-vous et pour la protéger en restant près du lieu de rendez-vous.

CHOIX ET DEGRÉ DE CONTRÔLE PERSONNEL SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL
Toutes les participantes ont assuré qu’elles n’avaient jamais été forcées par une autre personne à s’engager dans le travail du sexe ou à y demeurer. Néanmoins, dans ce domaine, « avoir le choix » ne se résume pas à une dichotomie « volontaire versus forcée ». Cela concerne également les conditions de travail : horaires, lieux de travail, rémunération, types de prestations à fournir, types de clientèle. Comme dans tout autre travail, le choix ne peut être total puisqu’il faut tenir compte à la fois des caractéristiques de la clientèle et des différentes contingences sur le plan des ressources disponibles. De plus, en ce qui concerne spécifiquement le travail du sexe, il est également nécessaire de tenir compte des contraintes imposées par la loi. Ainsi, les possibilités de contrôler ses conditions de travail sont, pour les participantes, assez semblables à celles d’autres milieux de travail (choix plus ou moins libre de ses disponibilités, horaires de travail, services à fournir et clientèle variant selon le type d’entreprise) et celles travaillant à leur propre compte ont un plus grand contrôle sur leurs conditions de travail mais elles doivent prendre la responsabilité de la gestion de leur vie professionnelle.
Deux participantes ont travaillé pour des agences de bars érotiques qui leur donnaient leurs assignations à différents bars en région, de manière à assurer un roulement. Heidi et Maryse apprécient la nouveauté et c’est pourquoi elles ont choisi de travailler pour ce type d’agences plutôt que d’offrir leurs services à un seul bar de danseuses. Se basant sur leur propre expérience ou sur celle de leurs collègues, ces deux participantes refusaient d’aller travailler dans le bar qui leur était proposé lorsque celui-ci se révélait peu recommandable, et l’agence acceptait ce refus sans pénaliser la travailleuse. En outre, dans le bar lui-même, les danseuses ne sont jamais obligées de servir un client en particulier. Elles choisissent les clients à qui elles vont s’adresser à partir de l’attitude non verbale et des commentaires qu’elles reçoivent de leur part.

CONCLUSION
Les données concernant le parcours dans le travail du sexe des participantes de cette étude décrivent ce parcours comme étant, le plus souvent, celui de femmes adultes qui ne sont pas en difficulté. Celles-ci ont la possibilité, grâce à une scolarité et une expérience antérieure d’emploi dans un autre secteur d’activité économique, de choisir entre différentes activités rémunératrices et elles décident de travailler dans l’industrie du sexe à la fois parce qu’elles apprécient le revenu que cela permet de générer et parce qu’elles sont intéressées par le genre de travail qu’elles y accomplissent. Une fois entrées dans ce secteur d’activité économique, elles y rencontrent des tierces parties dont les degrés d’honnêteté, de compétence et d’attitude respectueuse vont de nul à excellent, comme cela pourrait être le cas dans tout autre secteur de travail. Par ailleurs, ces tierces parties ne prennent aucunement le contrôle de leur corps et de leur vie, que ce soit par la violence physique ou psychologique, et ne contraignent les participantes ni à réaliser des prestations sexuelles que celles-ci ne souhaitent pas accomplir, ni à prendre des clients qu’elles ne veulent pas rencontrer, ni à demeurer travailleuses du sexe lorsqu’elles souhaitent cesser ces activités. Par contre, une importante difficulté que rencontrent la plupart des participantes, c’est qu’en offrant des services sexuels (cela inclut la nudité érotique dans un bar de danseuses), elles se voient marginalisées et doivent composer avec la possibilité d’être rejetées comme partenaires de couple, amenant certaines d’entre elles à quitter l’industrie du sexe lorsqu’elles ont la possibilité de former un couple, alors que d’autres préfèrent demeurer célibataires. Un autre problème, rencontré uniquement dans les milieux de bars de danseuses et non pas, en ce qui concerne les participantes, dans les autres milieux du travail du sexe, c’est la présence continuelle d’alcool et de drogues, laquelle conduit plusieurs danseuses à une perte de contrôle sur leur degré de consommation.
84Il semble en outre que, chez les participantes habituellement confortables à offrir des services sexuels, il y ait néanmoins malaise à offrir ces services après une consommation excessive, cette consommation produisant des conditions (fatigue, impatience) favorisant le malaise. Dans leur cas, ce ne serait pas le malaise qui serait à l’origine de la consommation, mais plutôt l’inverse. Cette observation suggère une nouvelle piste à explorer, laquelle permettrait de mieux comprendre certaines dynamiques concernant l’expérience d’aise ou de malaise dans le contexte d’une prestation sexuelle rémunérée chez les personnes consommatrices de drogues ou d’alcool.
85Bien évidemment, ces données sont non généralisables à l’ensemble des travailleuses du sexe, ni même aux femmes offrant des services d’escorte, puisque le fait d’avoir centré cette étude sur une exploration approfondie de la sexualité m’a surtout amené des participantes à l’aise d’offrir des services sexuels et à discuter de sexualité. Ces données recoupent néanmoins celles présentées par nombre d’autres études, ainsi que nous avons pu le voir, en même temps qu’elles remettent en question les affirmations abolitionnistes. Par contre, ces mêmes données sont différentes de celles présentées par des études non soutenues par une idéologie abolitionniste mais centrées sur des travailleuses du sexe socio-économiquement vulnérables et décrivant un parcours dans lequel les situations de violence et de victimisation sont beaucoup plus fréquentes (Benoit, Mccarthy, et Jansson, 2014 ; Bruckert et Chabot, 2010 ; Orchard, Farr, Macphail, Wender, et Young, 2012 ; McCarthy, 2010 ; Parent, 2014 ; Rabinovitch et Strega, 2004 ; Sloan et Wahab 2004). Ceci souligne l’importance de tenir compte de l’expérience du travail du sexe d’autant de sous-groupes que possible en réunissant les résultats obtenus par un grand nombre de travaux. Nous pourrons ainsi graduellement construire notre compréhension sociologique de la problématique à partir d’un portrait le plus complet possible de ce que vivent différentes personnes travailleuses du sexe. Et c’est dans ce contexte que les données de cette étude prennent toute leur importance, car elles indiquent la possibilité d’offrir des services sexuels dans un contexte dépourvu de violence et où il peut être confortable, voire même épanouissant, de le faire.
86Finalement, considérant qu’un certain nombre de femmes travailleuses du sexe vivent des expériences de violence ou se sentent dégradées dans le cadre de leur implication dans l’industrie du sexe, alors que d’autres se sentent à l’aise dans l’offre de services sexuels, il serait maintenant nécessaire de s’attarder, en tant que chercheurs, sur un travail d’identification des processus pouvant expliquer une aussi grande variété d’expériences dans le travail du sexe. Qu’est-ce qui fait que des femmes voient leur vie et leur identité personnelle détruites par le travail du sexe alors que, pour d’autres, il ne s’agit que d’un travail intéressant sous différents aspects, parfois simplement confortable, parfois très gratifiant et épanouissant ?